A partir de la Vieille place de Naninne, une belle promenade nous fait passer par le Bois du Duva jusqu'à la Meuse, à Dave (voir tracé en traits rouges discontinus sur la figure suivante).
Elle longe d'abord la chapelle du facteur, puis, un peu en contrebas, comme perdues dans les arbres, une chapelle et une petite grotte dédiées à Notre-Dame de Lourdes, avant de longer le cimetière de Dave et de rejoindre la Meuse.
Au-dessus de la porte de la chapelle du facteur, on peut lire sur une pierre l'inscription suivante : "A la pieuse mémoire de Joseph Roland, facteur des postes, assassiné le 3 février 1886, vers 11 h du matin, à l'âge de 30 ans. R.I.P."
A l'époque où j'appartenais au cercle des jeunes de Naninne, nous avions tenté de reconstituer une version (un peu romancée) de cet épisode dramatique, dans un film "super 8" mettant en scène plusieurs membres du cercle.
Nous nous étions alors renseignés auprès des personnes âgées du village, qui nous avaient raconté l'histoire de la manière suivante.
Le facteur Joseph Roland, ce matin du 3 février 1886, traverse le bois du Duva avec sa sacoche remplie non seulement de lettres, mais aussi de sommes d'argent provenant notamment de traites perçues à Naninne et à Dave.
A l'époque, en effet, le métier de facteur n'était pas sans risque, car c'est lui qui était souvent chargé de percevoir des sommes d'argent en liquide et de les transporter jusqu'au bureau de poste.
Or, deux gredins, bien connus dans le village pour leur cupidité et leur méchanceté, Alexis et Charles V. attendent embusqués dans les fourrés (nous désignerons leur patronyme par l'initiale "V", car ils appartiennent à une famille honorable encore présente à Naninne).
Charles bondit sur le facteur et le frappe sans ménagement, tandis que Alexis s'empare de la sacoche.
Ils disparaissent, laissant le facteur agonisant. Un bûcheron entend les gémissements du moribond et arrive sur les lieux de la ténébreuse affaire.
Le facteur a encore la force de lui montrer "2" avec ses doigts, en forme de "V", identifiant peut-être le nombre ou l'identité de ses assaillants.
Peu après, le facteur succombe à ses blessures.
Le bûcheron court à la gendarmerie et explique ce qu'il a vu. Les gendarmes pensent immédiatement aux frères V. et se rendent chez eux.
Ils fouillent systématiquement la maison de fond en comble, pour finalement retrouver la sacoche du facteur au grenier, entre les chevrons du toit.
Alexis avoue avoir volé, mais pas tué, alors que Charles nie toute accusation.
Le premier est condamné à la prison à vie. L'autre reste impuni, il continue à fréquenter les offices et même à tenir le parapluie du curé.
Depuis cette époque de ma jeunesse, j'ai eu l'occasion de recevoir le compte-rendu intégral du procès d'Alexis V. qui s'est tenu à la cour d'assises de la province de Namur.
Et, même si les grandes lignes de l'histoire ne changent pas, la vérité est un peu différente.
En fait, Alexis était agent d'assurances et encaissait les primes chez les particuliers de Dave et de Naninne.
Or, depuis un certain temps, il ne payait plus régulièrement à la maison-mère les traites venant à échéance et son emploi était donc menacé.
Ce matin du 3 février, il a payé une petite traite au facteur Roland et pour les autres, le facteur a rédigé une "formule de protêt" à destination de l'huissier pour attester le non-paiement du reste des traites.
Peu après, Alexis aurait suivi le facteur dans le bois et l'aurait assassiné pour récupérer la sacoche avec l'argent et la formule de "protêt".
Au cours du procès, il a nié avoir assassiné Joseph Roland et se serait contenté de dérober sa sacoche alors qu'il était déjà étendu mourant, au sol.
Il a néanmoins été condamné à la prison à vie.
Il reste pourtant des zones d'ombre dans la manière dont le procès a été mené.
Notamment, le rôle du frère, Charles, auteur de plusieurs faux témoignages, soit pour protéger Alexis, soit peut-être pour éviter qu'on ne l'accuse, lui, du meurtre.
Cela pourrait justifier en tout cas la manière dont les gens du village nous avaient raconté l'histoire de la condamnation du frère innocent.
Vous pouvez visualiser ci-dessous le film "Un Facteur" du cercle des jeunes.
La qualité n'est pas idéale, car il s'agit d'une reprise sur écran d'un film tourné en super 8. (au besoin, vous pouvez utiliser le symbole "plein écran" en bas à droite)